« La voiture ancienne est un marché d’avenir en Europe, vecteur d’innovations et de créations d’emplois »
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Alors qu’il existe un regain d’intérêt pour les voitures anciennes et un savoir-faire unique, le flou juridique de leur statut en Europe empêche l’essor de ce marché, observe, dans une tribune au « Monde », l’expert automobile Thibault Perez.
Tribune L’Europe progresse dans la voie de l’intégration de son marché automobile. Avec la mise en place du Certificat de conformité européen (COC) en 1996 puis l’harmonisation des procédures de contrôles techniques à partir de 2014, il existe une liberté de commercer les voitures neuves et d’occasion entre les différents Etats membres.
Mais pour les voitures anciennes, c’est une autre histoire. Les Etats membres disposent encore d’une large marge d’appréciation pour l’immatriculation de ces automobiles, en particulier en matière de contrôle technique. En conséquence, le marché européen des voitures anciennes demeure fragmenté et ne parvient pas à connaitre sa pleine maturité, contrairement aux Etats Unis.
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Une voiture de collection est-elle une voiture d’occasion comme les autres ? Les institutions communautaires ne font pas de distinction entre les voitures de plus de trente ans (généralement considérée comme appartenant à la catégorie des véhicules de collection) et les autres véhicules d’occasion. Elles laissent aux Etats membres une certaine autonomie en la matière, jugeant que c’est à leur échelle que les règles doivent être modulées pour ce type de véhicules.
Pas d’harmonisation européenne
Ainsi, le contrôle technique ne pouvant s’appliquer dans toute sa sévérité à des voitures qui ne répondent pas aux exigences de notre époque, c’est à chaque gouvernement de fixer ses propres normes. Les exigences sur le freinage et la liaison au sol sont généralement moindres, et certains équipements qui n’étaient pas obligatoires lors de la commercialisation du véhicule (tels que les feux de détresse ou les rétroviseurs extérieurs) ne sont pas toujours nécessaires.
La plupart des pays européens ont donc maintenu des statuts dérogatoires pour les voitures de plus de 30 ans qui leur sont spécifiques (la carte grise « collection » en France ou les plaques H vétéran en Allemagne).
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Pour ces statuts particuliers, le contrôle technique n’est a priori pas reconnu au niveau européen. Si bien qu’une « livraison intra communautaire » pour ce type de voiture n’est pas sans risque. Le pays de l’acquéreur peut refuser de valider le contrôle technique existant, voire interdire la circulation au motif que la voiture ne respecte pas les normes locales du contrôle technique.
Un paradoxe européen
En conséquence, la liberté de commercer des voitures anciennes en Europe est réduite. Importer une voiture de collection par exemple d’Espagne ou d’Italie demeure risqué, même lorsque celle-ci est autorisée à rouler dans son pays d’origine. Cette entrave n’a pas empéché une expansion rapide du secteur, porté par une hausse spectaculaire du cours des anciennes depuis plus d’une décennie et une logique patrimoniale. Mais elle a interdit la constitution d’une véritable filière européenne capable de rivaliser avec les acteurs majeurs du secteur, essentiellement américains.
C’est particulièrement vrai dans le domaine du trading (achat et vente de voitures anciennes), dans lequel les acteurs européens restent fragmentés. Cette situation se traduit par un marché sous-efficient, un patrimoine automobile moins préservé, et moins d’emplois pour la filière dans son ensemble. C’est particulièrement vrai pour le patrimoine automobile français d’après-guerre, qui parvient difficilement à s’exporter hors de nos frontières. Avec des conséquences réelles pour l’ensemble des sous-traitants, tels que les restaurateurs et les producteurs de pièces détachées.
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C’est bien le paradoxe européen. Nous disposons d’un savoir-faire exceptionnel en matière de restauration des véhicules d’époque. Nous comptons parmi les meilleurs carrossiers, selliers et mécaniciens spécialisés. Mais nos entreprises sont d’envergure nationale essentiellement. Elles ont une dimension artisanale, alors que le marché européen pourrait voir émerger des acteurs globaux.
Une chance pour l’Europe
Le marché des voitures anciennes bénéficie indirectement de la volonté européenne d’intégrer le marché automobile en Europe, mais ses spécificités tardent à être prises en compte à l’échelle communautaire. La voiture ancienne est pourtant un marché d’avenir, vecteur d’innovations et de créations d’emplois.
L’électrification de ces voitures (« retrofit ») ou la reproduction de certains modèles emblématiques sont ainsi des activités en plein essor, sur lesquelles les grands constructeurs européens commencent à se positionner. Cette dynamique est une chance pour l’Europe, qui dispose d’un patrimoine automobile unique du fait de son histoire industrielle.
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Il serait donc utile d’envisager ce secteur non pas seulement comme une activité mineure, voire folklorique, mais comme une industrie à fort potentiel de développement. Et de doter l’Union Européenne d’un contrôle technique adapté aux voitures anciennes, mutuellement reconnu par tous les Etats membres. C’est la condition pour une intégration effective du commerce européen des véhicules d’époque.
Thibault Perez Expert économique en voitures anciennes et responsable d’une plate-forme de vente en ligne de véhicules d’époque (retroencheres.fr)